Comment
pouvez-vous définir l'ambiance de votre dernier album ?
Contrairement à
nos disques précédents, Black Market Music correspond davantage à la réalité
qui est la nôtre aujourd'hui. Nous avons mûri et nous avons plus regardé à
l'intérieur de nous qu'à l'extérieur. Notre opus est bien plus compact et
solide que les deux précédents. Nous avons déployé une énergie punk-rock
que nous n'avions jamais atteinte à ce jour.
Comment se sont
passées les séances d'enregistrement de la basse pour toi ?
Bien plus
facilement qu'avant. Le co-producteur, Paul Corkett, nous a très bien dirigés.
Nous étions tous davantage créatifs et bien plus inspirés que pour les autres
disques. Les parties de basses ont donc été plus simples, parce qu'également
plus faciles à jouer. Ma façon de jouer est plus vigoureuse et plus juste. Sur
le premier disque, je jouais plus mélodique, alors que sur le second, j'étais
plus énergique. Sur celui-ci, j'ai réussi à combiner parfaitement les deux.
Placebo
serait-il le même groupe sans ta personnalité et ton touché musical ?
Le trio correspond
à ce groupe, et celui-ci sonne comme cela uniquement parce que ce sont les
trois mêmes musiciens qui composent ce trio. Placebo, ainsi que le son du
groupe, m'appartiennent à 33,33 %. Le succès du combo pourrait être identique
sans les mêmes individualités, mais pas la musique. Elle est le fruit de nos
trois âmes.
Quel matériel
utilises-tu ?
J'adore jouer sur
ma mexicaine Fendre Jazz Bass, elle sonne terrible. J'utilise aussi beaucoup la
même, mais en version américaine, qui possède d'énormes possibilités, et
une six cordes, de la même marque. De toutes celles du marché, la Jazz est ma
basse préférée. Pour les séances uniquement, je prends la Fender Precision,
qui, comme son nom l'indique, dispose d'une précision de son inégalable pour
les sonorités rock. Sur scène, je n'ai pas envie d'emporter quarante basses
pour en changer à chaque demi-chanson. Je me contente de celles qui ont
toujours eu ma confiance. Jusque-là, les Jazz Bass ont toujours remporté haut
la main le duel avec la Précision (rires). Je branche toujours mes instruments
sur le même ampli Ampeg SVT Pro Mark 1. Sur le premier disque, j'avais un SVT
2, mais je me suis vite rendu compte que le Pro Mark 1 était plus naturel et
offrait une chaleur et un son bien meilleurs. Je n'ai pas tardé à en changer
pour enregistrer le deuxième. Et je ne l'ai plus quitté. J'aime utiliser
quelques pédales, dont la distorsion Boss.
Comment as-tu
commencé à jouer de la basse ?
J'ai commencé par
la batterie à l'âge de 12 ans, avant de m'apercevoir que la basse me plaisait
davantage. J'adore la musique, je m'adapte donc à tous les instruments. J'adore
le son et la puissance rythmique que la basse procure. Je ne peux pas me
cantonner seulement à la basse. Même sur scène, j'ai besoin de jouer quelques
titres à la guitare et d'autres aux claviers. La quatre cordes reste toutefois
l'instrument qui me sied le mieux. De plus, en Angleterre, nous avions déjà
trop de guitaristes qui se battaient pour décrocher la place de rêve, alors
que peu de bassistes trouvaient une concurrence acharnée.
De quel
instrument es-tu incapable de jouer ?
Je serais
incapable d'être un bon batteur. Je n'ai pas pratiqué depuis très longtemps.
Sinon, il y a le violon, la clarinette, le trombone et tous les instruments à
vent (rires).
D'où vous est
venue l'idée, avec Brian, de jouer ensemble ?
Lorsque je suis
venu à Londres, c'était pour apprendre la guitare à l'école. J'ai revu Brian,
que j'avais rencontré au Luxembourg sur scène et j'ai tout de suite été
impressionné par l'énergie et la volonté qu'il déployait pour attirer
l'attention sur lui et sur sa musique. Ses compositions se révélaient déjà
très mélodiques et surtout très intéressantes. Quant à sa voix, elle m'a
subjugué. Quelques semaines plus tard, nous nous sommes revus et je n'ai pas pu
m'empêcher de lui dire tout le bien que je pensais de lui, et de lui parler de
mon approche musicale, très similaires à la sienne. Tout s'est alors enchaîné
très vite, sans que cela nous paraisse étonnant ou indélicat.
Pourquoi as-tu
opté pour la basse et non le clavier ou la guitare ?
Je ne souhaitais
pas être uniquement bassiste. Nous en avons discuté et le résultat s'entend
aujourd'hui : notre alchimie fonctionne parfaitement sur certains titres quand
je l'accompagne à la basse, et parfois elle nous transcende lorsque je prends
la guitare. En fait, ce sont les chansons qui me dictent l'instrument que je
dois choisir. Je peux m'exprimer comme je l'entends et comme je le ressens.
Placebo est magique pour moi.
Imaginais-tu
que le groupe connaîtrait un tel succès quand tu l'as fondé avec Brian ?
Sûrement pas. Si
le succès se mesurait, l'unité de mesure se vendrait très cher ! Au départ,
tu décides de devenir musicien pour véhiculer une oeuvre et satisfaire les
pulsions et ton ego. Ensuite, tu continues pour que l'on t'aime et pour mieux
gagner ta vie. Si certains sont prêts à tout, flirtent avec le diable pour
atteindre la gloire, d'autres, comme nous, ne souhaitent qu'une chose : ne
jamais vendre leur âme pour atteindre le même but. A partir de là, l'équation
est simple. Si, aujourd'hui, nous connaissons un certain succès, tant mieux,
mais il n'a jamais été calculé. Au contraire, nous pensions que nous
resterions toujours un groupe underground. Nous étions jeunes et un adolescent
ne veut pas se plier à des règles marketing pour satisfaire le compte en
banque des financiers des maisons de disques. Nous cherchions la liberté de créer
et de nous exprimer. Quand nous avons commencé à composer nos chansons, nous voulions
y mettre ce que nous ressentions, ce que nous avions dans nos tripes. De plus,
imagines-tu que nous nous impliquerions autant sur scène pour défendre des
morceaux qui ne nous ressembleraient pas ?
Pourquoi jouer
en trio ?
En studio, il
demeure important de rester en trio, c'est la seule manière de conserver notre
magie et notre harmonie. Nous ne pouvons créer qu'à trois. Le groupe est le résultats
de nos trois individualités et de nos trois personnalités. Placebo est
d'ailleurs constitué de trois syllabes, n'est-ce pas un signe ? En revanche,
sur scène, nous collaborons avec deux musiciens supplémentaires. L'un vient
prendre la basse lorsque je joue de la guitare ou des claviers, et l'autre
s'occupe des claviers pour la majeure partie de nos titres.
Comment
expliquez-vous cette superbe relation de confiance avec les fans français ?
Brian et moi avons
grandi au Luxembourg et cela nous a familiarisés avec la culture française, la
langue de Molière et la population de votre pays. Pour être honnêtes, nous
nous sentons également plus proches de la France que de nos origines anglaise,
américaine ou, pour ma part, suédoise. Mes repères se sont construits durant
ma période luxembourgeoise. Cela m'a aidé par la suite à me sentir davantage
proche de votre pays, de vos racines ou de votre culture que de celle de tout
autre pays.
Vous
apparaissez toujours maquillés sur scène. Sont-ce vos influences, très marquées
par David Bowie, Kiss, Iggy Pop et New Dolls, qui vous poussent à les copier ?
Je me sens
davantage porté par la musique de Bowie que par celle de Kiss (rires). Nous
n'avons pas besoin de revêtir des masques pour monter sur scène, simplement
d'ajouter quelques touches par ci par là sur ce que nous sommes dans la vie.
Nous n'entrons dans la peau d'aucun personnage comme le fait Kiss. Je n'imagine
pas Gene Simmons sortir dans les rues de New York en vampire avec des chaussures
ridicules. En revanche, tu peux me croiser dans n'importe quelle ville du monde,
je serai, à quelques nuances près, comme tu m'auras vu sur scène. Notre tenue
et nos maquillages n'ont donc rien à voir avec des influences que nous
souhaitons mettre en avant ou non. Ce que vous voyez correspond à ce que nous
sommes dans la vie. Rien de plus.
Vous avez
rencontré une de vos idoles, David Bowie, puis collaboré avec elle. Quel a été
l'instigateur de ces multiples rencontres, et que vous ont-elles apporté ?
Un jour, nous
avons reçu un coup de fil du management de David Bowie qui nous a proposé de
faire la première partie de notre idole. Pourquoi aurions-nous refusé un tel
honneur ? Par la suite, nous nous sommes très bien entendus, il apprécie
vraiment ce que nous sommes et cela lui rappelait tant de ses périodes les plus
prolifiques - Ziggy Stardust - qu'il a suivi tout naturellement notre carrière
jusqu'à nous inviter à son cinquantième anniversaire, avant que nous
enregistrions un duo avec lui. Les expériences se succèdent comme des événements
qui relient des amis partageant la même passion pour une aventure commune.
Auriez-vous
connu le même succès sans cette collaboration avec un tel monstre de la
musique ?
Bien entendu. Il
ne faut pas oublier que le duo est arrivé alors que nous avions déjà le même
impact auprès de nos fans, deux disques et de longues tournées derrière nous
qui justifiaient notre réussite. Notre collaboration avec David Bowie aura
peut-être apporté une crédibilité supplémentaire auprès de quelques-uns de
nos détracteurs, mais guère plus. Notre noyau de fans était déjà constitué
avant cette étape de notre carrière. Je ne pense pas que d'autres fans se
soient ralliés à notre aventure. Certains nous ont peut-être prêté une
oreiller différente, tout au plus. Ce single avec David, Whithout You I'm
Nothing, a rendu populaire notre histoire underground qui fonctionnait déjà très
bien. Aujourd'hui, nous nous retrouvons sur les couvertures de certains
magazines que nous n'aurions jamais obtenues il y a trois ans. Mais nous avons
surtout la chance que nos fans soient dévoués et fidèles. Alors, que la presse
s'empare d'un duo ou d'un phénomène Placebo pour vendre du papier, sert
finalement plus à eux qu'à nous.
Tourner en première
partie avec deux grosses pointures que sont Bowie et U2 demeure un
privilège pour des fans. Qui sera la prochaine star que vous accompagnerez ?
Je ne sais pas.
J'aimerais bien partager l'affiche des Pet Shop Boys ou de Sonic Youth. Mais, le
voudront-ils, eux ? Et si on retournait la question à des méga stars en leur
demandant si elles accepteraient d'ouvrir pour nous ? (rires).
Pourquoi jouer,
dans votre apparence, sur votre bisexualité ? Est-ce une forme de révolte ou
de revendication ?
Je ne comprends
pas la question ! Doit-on obligatoirement avoir une sexualité définie ou des
revendications particulières pour s'habiller comme on le désire ? Si tu aimes
les fleurs, on ne va pas te taxer d'homosexuel, et si une femme aime les
voitures de courses, elle n'est pas pour autant une gouine. La presse s'accapare
très facilement des images dont elle n'est bien souvent pas propriétaire pour
définir ce qu'elle croit être exact. Elle manque de vocabulaire et d'ouverture
d'esprit pour comprendre et analyser avec justesse le choix, la réflexion et la
motivation des artistes. Nous ne lui ressemblons pas, il faut bien qu'elle se
rattache à ce qu'elle connaît et maîtrise parfaitement. Les journalistes nous
font entrer dans des cases qu'ils ont eux-mêmes créées pour être sûrs de ne
pas se perdre. C'est réducteur et rassurant pour des gratte-papier. Heureusement,
il ne sont pas tous ainsi. Certains s'intéressent d'abord à la musique, avant
d'analyser la dernière mode vestimentaire.
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