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  Stefan Olsdal : Placebo

En trois albums, Placebo s'est imposé comme un groupe majeur, aux compositions et au son originaux. Quand au bassiste, Stefan Olsdal, il n'a pas sa langue dans sa poche.

Accompagné de ses deux acolytes, l'Américain Brian Molko, au chant et à la guitare, et l'Anglais Steve Hewitt, à la batterie, le Suédois Stefan Olsdal se révèle un instrumentiste complet. Au sein du groupe, il ne se fait pas prier pour jouer, selon la demande, de la guitare, du clavier ou de la basse. A l'origine du groupe, Stefan et Brian Molko refusent de faire de la musique pour ressembler aux autres combos. Le trio découvre rapidement sa voix et son vocabulaire, plutôt proche des contrées explorées par Sonic Youth, tout en aspirant à la vérité d'une PJ Harvey et à l'émotion propre des plus belles oeuvres de Tom Waits. Dès son premier concert au Rock Garden de Londres, en janvier 1995, Placebo trouve les notes justes pour envoûter une audience déjà conquise par l'énergie très brute sur scène du trio. Fort de cela, Placebo n'a aucune difficulté pour sortir son premier disque, Bruise Pristine, la même année, sous le label indépendant, Fierce Panda. Placebo ira tellement le défendre sur scène que le premier single Come Home se hissera à la troisième place des Charts indies. Un an plus tard, en 1996, Placebo signe avec Hut Recordings et obtient le privilège d'ouvrir les shows de son idole, David Bowie. De là, naîtra une amitié et un respect professionnel sans égal qui les conduiront, deux ans plus tard, à enregistrer un duo, "Without You I'm Nothing", qui se vendra à plus de 300 000 exemplaires au Royaume-Uni, à plus de 150 000 en France et à plus d'une million dans le reste du monde. Et ce n'est pas tout. Le groupe se produira au Madison Square Garden pour les 50 ans de Bowie. Le second album, Hang On To Your IQ, apparaîtra quelques semaines plus tard et deviendra disque d'or en Angleterre. Confiant dans leurs capacités et leur talent sur scène, Placebo repart en tournée pour défendre sa deuxième réalisation : aux États-Unis, en Allemagne et en France, il connaît un réel succès. Pour preuve, Nancy Boy, leur nouveau single, occupe la quatrième place dans des Charts britanniques en janvier 1997. Le groupe entame sa propre tournée britannique, qui le conduit jusqu'à la Brixton Academy de Londres, avant de rejoindre U2 pour sa première partie sur la plupart de ses dates européennes. L'an 2000 voit l'explosion de Placebo et la sortie de son troisième opus, Black Market Music. La presse, unanime, encense le trio, les fans s'agglutinent de jour en jour pour les voir sur scène et le groupe ne cesse de se produire pour satisfaire la Placebomania. Depuis leurs débuts, les membres du groupe ne dérogent pas à leurs valeurs : faire de la bonne musique, ne jamais se fourvoyer dans de quelconques compromissions inutiles et respecter ceux qui les ont toujours défendus. A l'occasion de leur nouvelle tournée française, Stefan nous parle sans détours.


Comment pouvez-vous définir l'ambiance de votre dernier album ?

Contrairement à nos disques précédents, Black Market Music correspond davantage à la réalité qui est la nôtre aujourd'hui. Nous avons mûri et nous avons plus regardé à l'intérieur de nous qu'à l'extérieur. Notre opus est bien plus compact et solide que les deux précédents. Nous avons déployé une énergie punk-rock que nous n'avions jamais atteinte à ce jour.

Comment se sont passées les séances d'enregistrement de la basse pour toi ?

Bien plus facilement qu'avant. Le co-producteur, Paul Corkett, nous a très bien dirigés. Nous étions tous davantage créatifs et bien plus inspirés que pour les autres disques. Les parties de basses ont donc été plus simples, parce qu'également plus faciles à jouer. Ma façon de jouer est plus vigoureuse et plus juste. Sur le premier disque, je jouais plus mélodique, alors que sur le second, j'étais plus énergique. Sur celui-ci, j'ai réussi à combiner parfaitement les deux.

Placebo serait-il le même groupe sans ta personnalité et ton touché musical ?

Le trio correspond à ce groupe, et celui-ci sonne comme cela uniquement parce que ce sont les trois mêmes musiciens qui composent ce trio. Placebo, ainsi que le son du groupe, m'appartiennent à 33,33 %. Le succès du combo pourrait être identique sans les mêmes individualités, mais pas la musique. Elle est le fruit de nos trois âmes.

Quel matériel utilises-tu ?

J'adore jouer sur ma mexicaine Fendre Jazz Bass, elle sonne terrible. J'utilise aussi beaucoup la même, mais en version américaine, qui possède d'énormes possibilités, et une six cordes, de la même marque. De toutes celles du marché, la Jazz est ma basse préférée. Pour les séances uniquement, je prends la Fender Precision, qui, comme son nom l'indique, dispose d'une précision de son inégalable pour les sonorités rock. Sur scène, je n'ai pas envie d'emporter quarante basses pour en changer à chaque demi-chanson. Je me contente de celles qui ont toujours eu ma confiance. Jusque-là, les Jazz Bass ont toujours remporté haut la main le duel avec la Précision (rires). Je branche toujours mes instruments sur le même ampli Ampeg SVT Pro Mark 1. Sur le premier disque, j'avais un SVT 2, mais je me suis vite rendu compte que le Pro Mark 1 était plus naturel et offrait une chaleur et un son bien meilleurs. Je n'ai pas tardé à en changer pour enregistrer le deuxième. Et je ne l'ai plus quitté. J'aime utiliser quelques pédales, dont la distorsion Boss.

Comment as-tu commencé à jouer de la basse ?

J'ai commencé par la batterie à l'âge de 12 ans, avant de m'apercevoir que la basse me plaisait davantage. J'adore la musique, je m'adapte donc à tous les instruments. J'adore le son et la puissance rythmique que la basse procure. Je ne peux pas me cantonner seulement à la basse. Même sur scène, j'ai besoin de jouer quelques titres à la guitare et d'autres aux claviers. La quatre cordes reste toutefois l'instrument qui me sied le mieux. De plus, en Angleterre, nous avions déjà trop de guitaristes qui se battaient pour décrocher la place de rêve, alors que peu de bassistes trouvaient une concurrence acharnée.

De quel instrument es-tu incapable de jouer ?

Je serais incapable d'être un bon batteur. Je n'ai pas pratiqué depuis très longtemps. Sinon, il y a le violon, la clarinette, le trombone et tous les instruments à vent (rires).

D'où vous est venue l'idée, avec Brian, de jouer ensemble ?

Lorsque je suis venu à Londres, c'était pour apprendre la guitare à l'école. J'ai revu Brian, que j'avais rencontré au Luxembourg sur scène et j'ai tout de suite été impressionné par l'énergie et la volonté qu'il déployait pour attirer l'attention sur lui et sur sa musique. Ses compositions se révélaient déjà très mélodiques et surtout très intéressantes. Quant à sa voix, elle m'a subjugué. Quelques semaines plus tard, nous nous sommes revus et je n'ai pas pu m'empêcher de lui dire tout le bien que je pensais de lui, et de lui parler de mon approche musicale, très similaires à la sienne. Tout s'est alors enchaîné très vite, sans que cela nous paraisse étonnant ou indélicat.

Pourquoi as-tu opté pour la basse et non le clavier ou la guitare ?

Je ne souhaitais pas être uniquement bassiste. Nous en avons discuté et le résultat s'entend aujourd'hui : notre alchimie fonctionne parfaitement sur certains titres quand je l'accompagne à la basse, et parfois elle nous transcende lorsque je prends la guitare. En fait, ce sont les chansons qui me dictent l'instrument que je dois choisir. Je peux m'exprimer comme je l'entends et comme je le ressens. Placebo est magique pour moi.

Imaginais-tu que le groupe connaîtrait un tel succès quand tu l'as fondé avec Brian ?

Sûrement pas. Si le succès se mesurait, l'unité de mesure se vendrait très cher ! Au départ, tu décides de devenir musicien pour véhiculer une oeuvre et satisfaire les pulsions et ton ego. Ensuite, tu continues pour que l'on t'aime et pour mieux gagner ta vie. Si certains sont prêts à tout, flirtent avec le diable pour atteindre la gloire, d'autres, comme nous, ne souhaitent qu'une chose : ne jamais vendre leur âme pour atteindre le même but. A partir de là, l'équation est simple. Si, aujourd'hui, nous connaissons un certain succès, tant mieux, mais il n'a jamais été calculé. Au contraire, nous pensions que nous resterions toujours un groupe underground. Nous étions jeunes et un adolescent ne veut pas se plier à des règles marketing pour satisfaire le compte en banque des financiers des maisons de disques. Nous cherchions la liberté de créer et de nous exprimer. Quand nous avons commencé à composer nos chansons, nous voulions y mettre ce que nous ressentions, ce que nous avions dans nos tripes. De plus, imagines-tu que nous nous impliquerions autant sur scène pour défendre des morceaux qui ne nous ressembleraient pas ?

Pourquoi jouer en trio ?

En studio, il demeure important de rester en trio, c'est la seule manière de conserver notre magie et notre harmonie. Nous ne pouvons créer qu'à trois. Le groupe est le résultats de nos trois individualités et de nos trois personnalités. Placebo est d'ailleurs constitué de trois syllabes, n'est-ce pas un signe ? En revanche, sur scène, nous collaborons avec deux musiciens supplémentaires. L'un vient prendre la basse lorsque je joue de la guitare ou des claviers, et l'autre s'occupe des claviers pour la majeure partie de nos titres.

Comment expliquez-vous cette superbe relation de confiance avec les fans français ?

Brian et moi avons grandi au Luxembourg et cela nous a familiarisés avec la culture française, la langue de Molière et la population de votre pays. Pour être honnêtes, nous nous sentons également plus proches de la France que de nos origines anglaise, américaine ou, pour ma part, suédoise. Mes repères se sont construits durant ma période luxembourgeoise. Cela m'a aidé par la suite à me sentir davantage proche de votre pays, de vos racines ou de votre culture que de celle de tout autre pays.

Vous apparaissez toujours maquillés sur scène. Sont-ce vos influences, très marquées par David Bowie, Kiss, Iggy Pop et New Dolls, qui vous poussent à les copier ?

Je me sens davantage porté par la musique de Bowie que par celle de Kiss (rires). Nous n'avons pas besoin de revêtir des masques pour monter sur scène, simplement d'ajouter quelques touches par ci par là sur ce que nous sommes dans la vie. Nous n'entrons dans la peau d'aucun personnage comme le fait Kiss. Je n'imagine pas Gene Simmons sortir dans les rues de New York en vampire avec des chaussures ridicules. En revanche, tu peux me croiser dans n'importe quelle ville du monde, je serai, à quelques nuances près, comme tu m'auras vu sur scène. Notre tenue et nos maquillages n'ont donc rien à voir avec des influences que nous souhaitons mettre en avant ou non. Ce que vous voyez correspond à ce que nous sommes dans la vie. Rien de plus.

Vous avez rencontré une de vos idoles, David Bowie, puis collaboré avec elle. Quel a été l'instigateur de ces multiples rencontres, et que vous ont-elles apporté ?

Un jour, nous avons reçu un coup de fil du management de David Bowie qui nous a proposé de faire la première partie de notre idole. Pourquoi aurions-nous refusé un tel honneur ? Par la suite, nous nous sommes très bien entendus, il apprécie vraiment ce que nous sommes et cela lui rappelait tant de ses périodes les plus prolifiques - Ziggy Stardust - qu'il a suivi tout naturellement notre carrière jusqu'à nous inviter à son cinquantième anniversaire, avant que nous enregistrions un duo avec lui. Les expériences se succèdent comme des événements qui relient des amis partageant la même passion pour une aventure commune.

Auriez-vous connu le même succès sans cette collaboration avec un tel monstre de la musique ?

Bien entendu. Il ne faut pas oublier que le duo est arrivé alors que nous avions déjà le même impact auprès de nos fans, deux disques et de longues tournées derrière nous qui justifiaient notre réussite. Notre collaboration avec David Bowie aura peut-être apporté une crédibilité supplémentaire auprès de quelques-uns de nos détracteurs, mais guère plus. Notre noyau de fans était déjà constitué avant cette étape de notre carrière. Je ne pense pas que d'autres fans se soient ralliés à notre aventure. Certains nous ont peut-être prêté une oreiller différente, tout au plus. Ce single avec David, Whithout You I'm Nothing, a rendu populaire notre histoire underground qui fonctionnait déjà très bien. Aujourd'hui, nous nous retrouvons sur les couvertures de certains magazines que nous n'aurions jamais obtenues il y a trois ans. Mais nous avons surtout la chance que nos fans soient dévoués et fidèles. Alors, que la presse s'empare d'un duo ou d'un phénomène Placebo pour vendre du papier, sert finalement plus à eux qu'à nous.

Tourner en première partie avec deux grosses pointures que sont Bowie et U2 demeure un privilège pour des fans. Qui sera la prochaine star que vous accompagnerez ?

Je ne sais pas. J'aimerais bien partager l'affiche des Pet Shop Boys ou de Sonic Youth. Mais, le voudront-ils, eux ? Et si on retournait la question à des méga stars en leur demandant si elles accepteraient d'ouvrir pour nous ? (rires).

Pourquoi jouer, dans votre apparence, sur votre bisexualité ? Est-ce une forme de révolte ou de revendication ?

Je ne comprends pas la question ! Doit-on obligatoirement avoir une sexualité définie ou des revendications particulières pour s'habiller comme on le désire ? Si tu aimes les fleurs, on ne va pas te taxer d'homosexuel, et si une femme aime les voitures de courses, elle n'est pas pour autant une gouine. La presse s'accapare très facilement des images dont elle n'est bien souvent pas propriétaire pour définir ce qu'elle croit être exact. Elle manque de vocabulaire et d'ouverture d'esprit pour comprendre et analyser avec justesse le choix, la réflexion et la motivation des artistes. Nous ne lui ressemblons pas, il faut bien qu'elle se rattache à ce qu'elle connaît et maîtrise parfaitement. Les journalistes nous font entrer dans des cases qu'ils ont eux-mêmes créées pour être sûrs de ne pas se perdre. C'est réducteur et rassurant pour des gratte-papier. Heureusement, il ne sont pas tous ainsi. Certains s'intéressent d'abord à la musique, avant d'analyser la dernière mode vestimentaire.