Accueil > Presse > Le Monde : 14 avril 2001

 

  Le Printemps est revenu à Bourges dans les lumières aveuglantes de Placebo

La 25e édition du festival a commencé sous de bons auspices avec le show sauvage du trio britannique.

Tranquillement, le public est venu, mardi 17 avril, prendre le pouls du 25e Printemps de Bourges : quatre concerts dans la même soirée, une "Nuit de l'humour" au profit de Solidarité sida et le versant électronique des découvertes du Réseau Printemps. Les allées qui séparent chaque lieu de concert sont encore praticables. Quelques zonards et des petits dealers repérables à deux cents mètres se fondent dans le décor. Des familles, beaucoup de jeunes en bandes souriantes et détendues jouent la flânerie.

Bourges, carrefour exotique. Vendeurs de tambours, de tissus africains, de bijoux, de posters, de T-shirts à l'effigie des stars du moment... Les stands de boissons et sandwiches n'ont pas beaucoup d'imagination : kebbabs, frites, churros, boissons gazeuses et bières. Au Village public, à la Scène ouverte région Centre, dans les cafés partenaires du festival, les apprentis rockers et chanteurs jouent avec la vigueur du "grand soir", à défaut d'être tout à fait originaux.

L'originalité, justement, est ce qui aura manqué au groupe qui devait ouvrir le festival à l'Igloo, vaste chapiteau, en première partie du trio Placebo. Sneaker Pimps a bien écouté la grandiloquence de U2 et les atmosphères vaporeuses de Radiohead. Mais la citation et le décalque ne suffisent pas. Il y faut un petit supplément d'âme et casser le moule. La bonne surprise a plutôt été créée par le culot et la capacité à trousser des mélodies pop de Bertrand Burgalat. C'est à La Hune, l'une des deux salles de la Maison de la culture - quand l'Igloo aurait été pour lui un toit plus approprié - que Burgalat et sa formation se produisaient avant la chanteuse Ingrid Caven.

Bertrand Burgalat, producteur, arrangeur, compositeur, fondateur de la compagnie phonographique Tricatel, s'est décidé depuis quelque temps à se placer sous les feux des projecteurs. Il a produit un album de l'actrice Valérie Lemercier, a fait beaucoup rire en transformant l'écrivain Michel Houellebecq en chanteur et a participé au retour au disque d'Ingrid Caven, chanteuse et actrice devenue personnage de roman. Burgalat, lui, est Burgalat. Ni plus ni moins, avec une allure gainsbourienne 1960. Burgalat a de l'humour ("Si je me rencontrais au coin de la rue, je me dirais bonjour Bertrand"), le goût de mêler les années pop britanniques et le psychédélisme américain avec fraîcheur et subtilité.

Au pas de course, redescente vers l'Igloo. Placebo en première ligne, l'un des groupes vedettes d'un festival qui, depuis 1999, s'est réconcilié avec lui-même en défrichant les dernières tendances musicales. Placebo : trois mauvais garçons avec des gueules d'angelots. Brian Molko, chanteur et guitariste, visage blanc craie, lèvres noires, allure androgyne et voix haut perchée. Comme Michæl Stipe, le leader chanteur de R.E.M. et Thom Yorke, celui de Radiohead, Molko attire tous les regards. Charisme, mystère, ambiguïté. Avec Stefan Oswald à la basse et Steve Hewitt à la batterie, Placebo dynamise le format du trio. Sur disques, des ornementations nourrissent des chansons où violence et mélancolie font bon ménage. Sur scène, le son est plus compact, guitare cinglante, batterie mouvante, basse rageuse.

Au bout d'une vingtaine de minutes, Placebo amorce une légère décélération avec Passive Agressive,extrait de leur troisième et récent album Black Market Music.Si le trio - secondé par un instrumentiste anonyme à tout faire - puise essentiellement dans cet opus frondeur, il n'oublie pas ses premiers pas. My Sweet Prince, lent et limpide, est ainsi extrait du second album, 36 Degrees ou Come Homedu premier. Des lumières blanches aveuglantes, particulièrement bien travaillées, accompagnent un show toujours près à déraper, glorieux et sauvage.

Sylvain Siclier