Quel est le sens de la
chanson «My Sweet Prince» ?
Brian Molko : On a écrit «My Sweet Prince» d’après un événement
réel, à propos d’une de mes relations qui s’est achevée en une véritable
tragédie. Un mec dont nous étions tous les trois très proches a
failli mourir. C’était très pénible, nous étions assez troublés
par ces événements. Parce que nous avions ces sentiments très forts
en nous, cette chanson est comme sortie de nulle part. De nos tripes.
C’est une chanson à laquelle je suis très attaché. Elle évoque une
relation avec un mec et un rapport avec une certaine substance. Ces deux
relations ont pris fin simultanément dans des conditions dramatiques.
Il avait l’habitude de m’appeler «My Sweet Prince». Des amoureux
peuvent se la chanter l’un à l’autre. Quelle ironie, puisqu’elle
parle de l’effondrement d’une relation. C’est une des chansons de
l’album qui est écrite du point de vue d’un ancien amant qui
s’adresse à moi. Quand on a écrit «My Sweet Prince», une pensée
étrange m’a traversé l’esprit : cette chanson devenait vraiment
noire et déchirante. Elle parle effectivement de sujets douloureux
comme la drogue et le suicide. J’imagine que beaucoup de gens dans des
pays différents n’ont pas vraiment compris de quoi elle parlait. Mais
ça m’est égal qu’on n’en saisisse pas le sens. «My Sweet Prince»,
ce serait davantage le «Chelsea Hotel» numéro 2 de Leonard Cohen.
Mais beaucoup de gens inventent leurs propres histoires à l’écoute
des chansons. Ils leur donnent des significations différentes selon
leur personnalité. Les gens se projettent sur les chansons et en
affectent le propos initial. Chaque individu veut s’en approprier le
sens.
Que dire alors
du sens de la chanson «Scared Of Girls» ?
Brian Molko : C’est une chanson qui parle des mecs hétérosexuels
volages. Est-ce que les mecs hétéros qui se conduisent comme des
salopes (sic) se comportent ainsi parce qu’ils adorent les femmes,
qu’ils ont peur d’elles ou parce qu’ils les détestent sans
vouloir se l’avouer ?
Vous
engagez-vous pour les droits des gays et des lesbiennes ?
Stefan Oldsdal : Pas à un niveau politique... Mais ça ne nous gêne
pas de parler ouvertement de nos différentes sexualités.
Brian Molko : Nous ne sommes pas des bêtes de politique. Il
n’y a pas beaucoup de causes que nous avons envie de soutenir. Certes,
on fait des concerts de charité quand on se sent concernés et que la
cause nous paraît juste. Cela étant, les seules fois où nous avons
manqué la Gay Pride, c’était lorsque nous étions en tournée. Quand
je pense à nous trois, je m’aperçois que seule la moitié de ce
groupe est hétéro, l’autre est gay. Dans ce groupe, il y en a pour
tous les goûts. En étant ouverts sur nos sexualités, sur ma propre
bisexualité, sur l’homosexualité de Stefan et sur l’hétérosexualité
de Steve, chacun peut y trouver son compte. Il nous paraît important
d’assumer son mode de vie avant de jeter la pierre aux autres. Il faut
juste être honnête avec ses sentiments et ses désirs.
Stefan Oldsdal : Je reçois des lettres de musiciens. Un guitariste
gay, par exemple, m’a écrit qu’il avait trouvé du courage et un
soutien grâce à mon coming-out dans les médias. Parce qu’il se
sentait plutôt extérieur au milieu pédé, ça lui donnait de la force
de voir quelqu’un qui était à la fois pédé et dans un groupe de
rock.
Steve Hewitt : J’ai beau être hétéro, je n’en demeure pas
moins sensible à la situation des gays.
Stefan Oldsdal : Les gays et les lesbiennes devraient avoir les mêmes
droits que les autres. Mais il s’est passé beaucoup de choses en
Angleterre récemment, comme le changement de la loi sur l’âge du
consentement.
Brian Molko : Nous sommes devenus furieux quand on a parlé
ouvertement du fait que l’âge du consentement en Angleterre soit fixé
à dix-huit ans. C’est une loi vraiment ridicule et complètement
archaïque. Qu’ils soient gays ou hétéros, les ados baisent dès
l’âge de 13 ans. Que la loi en fasse des criminels, ça me paraît
impensable.
Stefan Oldsdal : C’est ridicule que la loi fasse une telle
distinction entre les homos et les hétéros. Quand j’habitais encore
au Luxembourg et que je suis allé en Angleterre à l’âge de dix-neuf
ans, j’avais des rapports sexuels. C’était considéré comme une
sexualité illégale. Mon petit copain aurait pu aller en prison pour ça.
Le fait d’avoir, en Angleterre, une institution comme la chambre des
Lords avec un tel pouvoir de décision en fait baver aux homosexuels.
Pour qui se prennent ces gens pour porter des jugements ?
Quelles ont été
les réactions des médias suite à votre coming-out ? Pourquoi avoir
parlé de vos sexualités ?
Stefan Oldsdal : Nous sommes un groupe très honnête. Ça nous
paraissait naturel. Et de toute façon, ça ne faisait pas beaucoup de
mystère. Je préférais prendre les devants que d’entendre de la
bouche d’autres personnes que je suis gay. Il n’était pas question
de faire comme George Michael.
Que pensez-vous des
ministres anglais qui ont fait leur coming-out, et des scandales sexuels
qui ont touché le gouvernement de Tony Blair ?
Stefan Oldsdal : En France, il y a aussi ce problème de la vie
privée des hommes politiques.
Brian Molko : C’est la même chose dans tous les pays sans
exception. C’est juste plus hystérique en Angleterre.
Stefan Oldsdal : Les politiques sont plus opprimés en
Angleterre. En ayant une double vie comme n’importe qui, ils
deviennent les victimes de cette hystérie, parce que ce sont des
personnages publiques. Et pourtant, ils sont comme tout le monde.
Brian Molko : C’est tellement hypocrite.
Il faut voir la
manière dont la presse anglaise a réagi au coming-out de certains députés.
Les gros titres annonçaient : «Est-ce que le pays est gouverné par la
mafia gay ?», ou «Est-ce que vous voulez savoir si votre ministre est
gay ?». C’est de l’hystérie collective. Qu’un ministre soit gay
ou pas, ça ne fait aucune différence dans l’exercice de ses
fonctions.
Stefan Oldsdal : C’est très anglais. Ailleurs, on a l’esprit
plus ouvert.
Brian Molko : Oui, c’est une maladie typiquement britannique.
Je ne pense pas que la presse française réagirait de la même manière.
Les médias savaient depuis des années que Mitterrand avait une deuxième
famille. Ils n’ont pas publié la nouvelle avant qu’il ne quitte ses
fonctions.
Stefan Oldsdal : Le cas extrême, c’est Bill Clinton. Il a
perdu sa crédibilité en tant que président.
Brian Molko : Je préfère avoir un président qui aime se faire
sucer la queue qu’un autre qui aille régulièrement à l’église.
Avez-vous entendu
parler du PaCS ?
Brian Molko : J’en ai entendu parler à la télévision lorsque
j’étais en France à Noël. Jospin a l’air plutôt d’accord, non
? Apparemment, il y a beaucoup de problèmes avec l’opposition.
C’est évident que les couples gays et lesbiens devraient avoir les mêmes
droits que les couples mariés. En Angleterre, un couple hétérosexuel
marié a des avantages que
ne peuvent avoir les gays.
Stefan Oldsdal : Dans cent ans, les gens qui se pencheront sur le
passé trouveront que tout ça est bien ridicule. Ça me paraît tout à
fait logique que deux personnes qui s’aiment, homos ou hétéros,
puissent avoir les mêmes droits. C’est bien le cas en Suède et en
Hollande.
Est-ce que vous
vous définissez comme un groupe queer ?
Brian Molko : Non, on se considère juste comme un groupe de
rock. Notre propos n’est pas d’être gay ou pas, mais plutôt celui
de la liberté sexuelle et de la liberté de choisir, sans souffrir des
préjugés. Qui vous choisissez comme partenaire sexuel, à partir du
moment où chacun est consentant... Nous sommes attachés à la question
de la liberté.
Stefan Oldsdal : D’ailleurs, les gens essaient d’accoler une
nationalité à notre groupe. Nous ne sommes pas anglais. Nous sommes de
trois nationalités différentes. Cela ne veut pas dire qu’on est suédois,
américain et anglais. On ne porte pas l’étendard d’un pays.
Steve Hewitt : On se moque de toutes les frontières. Nous sommes
internationaux et «intersexuels».
Avez-vous des
boyfriends / girlfriends ?
Stefan Oldsdal : C’est du domaine de notre vie privée.
Brian Molko : On ne veut pas en dire trop et on reste ouvert à
toutes les propositions...
Que pensez-vous du
mélange des genres entre techno et rock ? Vous disiez dans une
interview que vous aimiez beaucoup le premier album de Underworld...
Brian Molko : C’est vrai, on l’a passé en boucle, comme
l’album des Leftfield. Nous avons l’habitude d’écouter de la
techno et de la disco avant d’entrer en scène. Sur la question du
cross-over, regardez Prodigy, ils sont davantage punks que la plupart
des groupes néo-punks. On ne cesse d’annoncer la mort de la musique
à base de guitare électrique. Mais cette musique à besoin de se
confronter à d’autres genres musicaux pour survivre. Elle est en évolution
constante.
Stefan Oldsdal : Mais ça marche aussi dans l’autre sens. Des
groupes techno utilisent la guitare.
Brian Molko : L’an dernier, mon album préféré, c’est celui
de DJ Shadow. On aime également l’album d’Unkle. Nous avons commencé
à jouer avec des boucles musicales. On a toujours aimé mélanger le
son live et la boîte à rythme. On a appris à utiliser les nouvelles
technologies en studio pour changer nos méthodes de composition. Nous
voulons rester motivés et surtout pas nous répéter. Dans le parcours
d’un musicien, c’est normal de faire son apprentissage en maniant de
nouveaux outils. Depuis quatre ans, Stefan utilise des samples en scène.
On s’est tous intéressés à la technologie. Ça rend la vie plus
facile. Prendre une note ici et la mettre là au lieu de la jouer à
nouveau, pourquoi pas ?
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