Accueil > Presse > Têtu n°33 : avril 1999

 

  Placebo : triple effet

Sexe, rock et glam : le trio anglais du groupe Placebo a bon goût. Le mois dernier, ils distillaient leurs chansons acides et douces-amères devant un Zénith comble. Pour «Têtu», ils racontent ce qu’un député français a peur de dire.

Si les hétéros investissent la house, les pédés et leurs affidés infiltrent le rock sur le terrain d’un son nerveux et bourré d’adrénaline. Alors que la chanteuse de Skunk Anansie clame haut et fort son homosexualité, Brian Molko, le chanteur-guitariste de Placebo affiche fièrement son attirance pour les deux sexes. Mais Placebo c’est également Stefan Oldsdal, bassiste pédé, et son Steve Hewitt, batteur hétéro. Leur premier album éponyme sonnait comme une charge contre l’ennui du Luxembourg, où Brian et Stefan ont passé leur adolescence. Sur «Without You I’m Nothing», leur second album, plane un sentiment de mélancolie, de «My Sweet Prince» à «Summer’s Gone». Adoubé par Bowie et Velvet Goldmine, Placebo lance le style garçon du prochain millénaire, furieusement rock’n’folle.


Quel est le sens de la chanson «My Sweet Prince» ?

Brian Molko : On a écrit «My Sweet Prince» d’après un événement réel, à propos d’une de mes relations qui s’est achevée en une véritable tragédie. Un mec dont nous étions tous les trois très proches a failli mourir. C’était très pénible, nous étions assez troublés par ces événements. Parce que nous avions ces sentiments très forts en nous, cette chanson est comme sortie de nulle part. De nos tripes. C’est une chanson à laquelle je suis très attaché. Elle évoque une relation avec un mec et un rapport avec une certaine substance. Ces deux relations ont pris fin simultanément dans des conditions dramatiques. Il avait l’habitude de m’appeler «My Sweet Prince». Des amoureux peuvent se la chanter l’un à l’autre. Quelle ironie, puisqu’elle parle de l’effondrement d’une relation. C’est une des chansons de l’album qui est écrite du point de vue d’un ancien amant qui s’adresse à moi. Quand on a écrit «My Sweet Prince», une pensée étrange m’a traversé l’esprit : cette chanson devenait vraiment noire et déchirante. Elle parle effectivement de sujets douloureux comme la drogue et le suicide. J’imagine que beaucoup de gens dans des pays différents n’ont pas vraiment compris de quoi elle parlait. Mais ça m’est égal qu’on n’en saisisse pas le sens. «My Sweet Prince», ce serait davantage le «Chelsea Hotel» numéro 2 de Leonard Cohen. Mais beaucoup de gens inventent leurs propres histoires à l’écoute des chansons. Ils leur donnent des significations différentes selon leur personnalité. Les gens se projettent sur les chansons et en affectent le propos initial. Chaque individu veut s’en approprier le sens.

Que dire alors du sens de la chanson «Scared Of Girls» ?

Brian Molko : C’est une chanson qui parle des mecs hétérosexuels volages. Est-ce que les mecs hétéros qui se conduisent comme des salopes (sic) se comportent ainsi parce qu’ils adorent les femmes, qu’ils ont peur d’elles ou parce qu’ils les détestent sans vouloir se l’avouer ?

Vous engagez-vous pour les droits des gays et des lesbiennes ?

Stefan Oldsdal : Pas à un niveau politique... Mais ça ne nous gêne pas de parler ouvertement de nos différentes sexualités.

Brian Molko : Nous ne sommes pas des bêtes de politique. Il n’y a pas beaucoup de causes que nous avons envie de soutenir. Certes, on fait des concerts de charité quand on se sent concernés et que la cause nous paraît juste. Cela étant, les seules fois où nous avons manqué la Gay Pride, c’était lorsque nous étions en tournée. Quand je pense à nous trois, je m’aperçois que seule la moitié de ce groupe est hétéro, l’autre est gay. Dans ce groupe, il y en a pour tous les goûts. En étant ouverts sur nos sexualités, sur ma propre bisexualité, sur l’homosexualité de Stefan et sur l’hétérosexualité de Steve, chacun peut y trouver son compte. Il nous paraît important d’assumer son mode de vie avant de jeter la pierre aux autres. Il faut juste être honnête avec ses sentiments et ses désirs.

Stefan Oldsdal :
Je reçois des lettres de musiciens. Un guitariste gay, par exemple, m’a écrit qu’il avait trouvé du courage et un soutien grâce à mon coming-out dans les médias. Parce qu’il se sentait plutôt extérieur au milieu pédé, ça lui donnait de la force de voir quelqu’un qui était à la fois pédé et dans un groupe de rock.

Steve Hewitt :
J’ai beau être hétéro, je n’en demeure pas moins sensible à la situation des gays.

Stefan Oldsdal : Les gays et les lesbiennes devraient avoir les mêmes droits que les autres. Mais il s’est passé beaucoup de choses en Angleterre récemment, comme le changement de la loi sur l’âge du consentement.

Brian Molko : Nous sommes devenus furieux quand on a parlé ouvertement du fait que l’âge du consentement en Angleterre soit fixé à dix-huit ans. C’est une loi vraiment ridicule et complètement archaïque. Qu’ils soient gays ou hétéros, les ados baisent dès l’âge de 13 ans. Que la loi en fasse des criminels, ça me paraît impensable.

Stefan Oldsdal :
C’est ridicule que la loi fasse une telle distinction entre les homos et les hétéros. Quand j’habitais encore au Luxembourg et que je suis allé en Angleterre à l’âge de dix-neuf ans, j’avais des rapports sexuels. C’était considéré comme une sexualité illégale. Mon petit copain aurait pu aller en prison pour ça. Le fait d’avoir, en Angleterre, une institution comme la chambre des Lords avec un tel pouvoir de décision en fait baver aux homosexuels. Pour qui se prennent ces gens pour porter des jugements ?

Quelles ont été les réactions des médias suite à votre coming-out ? Pourquoi avoir parlé de vos sexualités ?

Stefan Oldsdal : Nous sommes un groupe très honnête. Ça nous paraissait naturel. Et de toute façon, ça ne faisait pas beaucoup de mystère. Je préférais prendre les devants que d’entendre de la bouche d’autres personnes que je suis gay. Il n’était pas question de faire comme George Michael.

Que pensez-vous des ministres anglais qui ont fait leur coming-out, et des scandales sexuels qui ont touché le gouvernement de Tony Blair ?

Stefan Oldsdal : En France, il y a aussi ce problème de la vie privée des hommes politiques.

Brian Molko : C’est la même chose dans tous les pays sans exception. C’est juste plus hystérique en Angleterre.

Stefan Oldsdal : Les politiques sont plus opprimés en Angleterre. En ayant une double vie comme n’importe qui, ils deviennent les victimes de cette hystérie, parce que ce sont des personnages publiques. Et pourtant, ils sont comme tout le monde.

Brian Molko : C’est tellement hypocrite.

Il faut voir la manière dont la presse anglaise a réagi au coming-out de certains députés. Les gros titres annonçaient : «Est-ce que le pays est gouverné par la mafia gay ?», ou «Est-ce que vous voulez savoir si votre ministre est gay ?». C’est de l’hystérie collective. Qu’un ministre soit gay ou pas, ça ne fait aucune différence dans l’exercice de ses fonctions.

Stefan Oldsdal : C’est très anglais. Ailleurs, on a l’esprit plus ouvert.

Brian Molko : Oui, c’est une maladie typiquement britannique. Je ne pense pas que la presse française réagirait de la même manière. Les médias savaient depuis des années que Mitterrand avait une deuxième famille. Ils n’ont pas publié la nouvelle avant qu’il ne quitte ses fonctions.

Stefan Oldsdal : Le cas extrême, c’est Bill Clinton. Il a perdu sa crédibilité en tant que président.

Brian Molko : Je préfère avoir un président qui aime se faire sucer la queue qu’un autre qui aille régulièrement à l’église.

Avez-vous entendu parler du PaCS ?

Brian Molko : J’en ai entendu parler à la télévision lorsque j’étais en France à Noël. Jospin a l’air plutôt d’accord, non ? Apparemment, il y a beaucoup de problèmes avec l’opposition. C’est évident que les couples gays et lesbiens devraient avoir les mêmes droits que les couples mariés. En Angleterre, un couple hétérosexuel marié a des avantages que
ne peuvent avoir les gays.

Stefan Oldsdal : Dans cent ans, les gens qui se pencheront sur le passé trouveront que tout ça est bien ridicule. Ça me paraît tout à fait logique que deux personnes qui s’aiment, homos ou hétéros, puissent avoir les mêmes droits. C’est bien le cas en Suède et en Hollande.

Est-ce que vous vous définissez comme un groupe queer ?

Brian Molko : Non, on se considère juste comme un groupe de rock. Notre propos n’est pas d’être gay ou pas, mais plutôt celui de la liberté sexuelle et de la liberté de choisir, sans souffrir des préjugés. Qui vous choisissez comme partenaire sexuel, à partir du moment où chacun est consentant... Nous sommes attachés à la question de la liberté.

Stefan Oldsdal : D’ailleurs, les gens essaient d’accoler une nationalité à notre groupe. Nous ne sommes pas anglais. Nous sommes de trois nationalités différentes. Cela ne veut pas dire qu’on est suédois, américain et anglais. On ne porte pas l’étendard d’un pays.

Steve Hewitt : On se moque de toutes les frontières. Nous sommes internationaux et «intersexuels».

Avez-vous des boyfriends / girlfriends ?

Stefan Oldsdal : C’est du domaine de notre vie privée.

Brian Molko : On ne veut pas en dire trop et on reste ouvert à toutes les propositions...

Que pensez-vous du mélange des genres entre techno et rock ? Vous disiez dans une interview que vous aimiez beaucoup le premier album de Underworld...

Brian Molko : C’est vrai, on l’a passé en boucle, comme l’album des Leftfield. Nous avons l’habitude d’écouter de la techno et de la disco avant d’entrer en scène. Sur la question du cross-over, regardez Prodigy, ils sont davantage punks que la plupart des groupes néo-punks. On ne cesse d’annoncer la mort de la musique à base de guitare électrique. Mais cette musique à besoin de se confronter à d’autres genres musicaux pour survivre. Elle est en évolution constante.

Stefan Oldsdal : Mais ça marche aussi dans l’autre sens. Des groupes techno utilisent la guitare.

Brian Molko : L’an dernier, mon album préféré, c’est celui de DJ Shadow. On aime également l’album d’Unkle. Nous avons commencé à jouer avec des boucles musicales. On a toujours aimé mélanger le son live et la boîte à rythme. On a appris à utiliser les nouvelles technologies en studio pour changer nos méthodes de composition. Nous voulons rester motivés et surtout pas nous répéter. Dans le parcours d’un musicien, c’est normal de faire son apprentissage en maniant de nouveaux outils. Depuis quatre ans, Stefan utilise des samples en scène. On s’est tous intéressés à la technologie. Ça rend la vie plus facile. Prendre une note ici et la mettre là au lieu de la jouer à nouveau, pourquoi pas ?