Il y a des
groupes qui semblent avoir du mal à tenir la distance, Placebo n'est
pas de ceux là. «Tout fonctionne de mieux en mieux : le song-writing,
notre manière de jouer. Nous sommes aujourd'hui de meilleurs musiciens,
et nous avons tous commencé à jouer d'autres instruments», sont
heureux de nous confier Brian Molko et Stefan Olsdal, respectivement
chanteur-guitariste et bassiste du groupe. Pour son quatrième album,
Sleeping with ghost, Placebo a collaboré avec DJ Shadow et Jim Abiss,
le producteur d'Unkle. Un choix qui peut paraître étonnant de prime
abord, car l'un et l'autre ne sont pas vraiment connus pour leur côté
rock. «Nous ne voulions pas travailler avec un producteur de rock américain,
explique Brian. Cela aurait été trop évident. Nous ne voulions ni
sonner nu-metal, ni enregistrer dans un studio des années 60 et sonner
comme un groupe des seventies. Nous sommes fans du travail de Jim, de DJ
Shadow et de Sneaker Pimps, de Massive Attack et de Björk. C'est ce que
nous écoutons chez nous.» Stefan et Brian confient d' ailleurs
avoir un temps cédé aux sirènes de l'expérimentation électro. «Et
puis nous sommes aller voir en concert les Queens of the Stone Age, et
ça nous a rappelé qui nous étions, se souvient Brian. On s'est dit :
"Merde, on est un groupe de rock !"» S'ils affirment être
devenus plus sereins avec l'âge, Brian Molko, Stefan Olsdal et Steve
Hewitt, le troisième membre du groupe, composent toujours des titres
d'où se dégage un parfum de mélancolie, plus atténué toute fois que
sur leur chef-d'oeuvre Without you I'm nothing, sorti en 1998. Cette
tonalité vient principalement des paroles écrites par Brian. Le titre
Sleeping with ghosts fait ainsi référence aux souvenirs (les «fantômes»)
de ses relations passées. «Quand j'écris des paroles, confie-t-il, je
pense beaucoup aux relations que j'ai eues ces dix dernières années.
J'essaie de comprendre pourquoi la majorité d'entre elles ont été si
destructrices, si autodestructrices, afin d'être mieux préparé pour
la suite, pour continuer à vivre et réessayer.» En quatre albums, Placebo
a réussi à imposer un style : celui d'un rock amer et ironique, qui,
à l'occasion, n'hésite pas à ouvrir sa gueule. Les membres du groupe
n' ont jamais rechigné à parler de leur orientation sexuelle - «J'aimerais
qu'on parle un peu moins de nos vies et un peu plus de notre musique»,
précise Stefan. Récemment, ils ont soutenu l'initiative de Massive
Attack et de Blur contre la guerre en Irak. Pensent-ils, dans la lignée
d'un Bowie, avoir influencé la culture gay en y injectant un peu de
rock ? «Peut-être. Mais il y a encore du boulot, estime Brian.
Aujourd'hui encore, les gays ne sont pas tendres avec les bisexuels.
Quand j'ai découvert que j'étais attiré par les hommes, ça n'a fait
qu'augmenter mon attraction pour les femmes.» A Stefan Olsdal, qui lui
fait remarquer que certains pourraient être jaloux de lui
parce qu'il a le «meilleur des deux mondes», il répond : «Toi, quand
tu es soûl, tu aimes toucher les seins des femmes.» et Stefan de répondre
: «Oui, mais ce n'est pas sexuel, ça doit être en rapport avec ma mère.
[rires]» «On a peut-être influencé la culture gay en montrant que,
parfois, les gens qui ont un certain mode de vie peuvent être aussi ségrégationnistes
que les autres. Ce que nous représentons, c'est la liberté et la tolérance»,
conclu Brian. Stefan ajoute que Placebo a fait partie d'un mouvement
plus large qui a fait revenir le rock dans la culture gay : «Nous avons
commencé en même temps que la soirée Popstarz [soirée pop-rock gay
londonienne].» Aujourd' hui, Placebo fait partie des «grands groupes».
Elton John a invité Brian Molko lors de son récent concert de charité
au Lido. Soirée que le chanteur décrit comme «l'expérience ultime du
kitsch parisien». «Elton m'a même embrassé sur la bouche !»
lance-t-il en souriant. Rock-star, oui, mais pas du genre à attraper la
grosse tête.
XAVIER HERAULT
|