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 La découverte.

Le premier album de Placebo se révèle être étonnant d'audace, donnant un gros coup de fouet à l'Angleterre lors de sa sortie. Loin des frères Gallagher et autre Damon Albarn, le trio international choque et dérange avec ce premier album riche et fougueux. Le groupe, emmené par le flamboyant Brian Moko, Stefan Olsdal et Robert Schultzberg ( qui sera remplacé par Steve Hewitt ) est une véritable bombe de rage et de sentiments. Ils nous livrent avec ce premier album une oeuvre folle, inégale et incroyablement jouissive. Le look androgyne de Molko dérange, les textes, principalement axés sur le sexe, troublent, et le groupe n'a (sans doute) jamais été aussi camé qu'à cette époque. Placebo reste un paradoxe, un groupe glamour, maquillé et beau qui explose instruments dans les mains et invente une musique pop-punk hargneuse et déchaînée. Mais le gros point fort du groupe est le mélange de ballades, de mélancolie et de puissance. Ils peuvent aussi bien émouvoir qu'exciter les neurones. Un disque tout simplement excellent qui révèle un phénomène rock qui deviendra au fil des ans l'un des plus excitants de la décennie.

17-07-96
Elevator Music
(Caroline Records)

Le premier morceau de ce 1er album donne le ton. Come Home est tout sauf calme. Agressif, nerveux, le morceau est instinctif et rapide. La guitare saturée de Molko ne faiblit pas d'un iota, ses riffs sont accrocheurs et vont droit au but. La première chose a signaler, est la voix de Brian Molko qui reste reconnaissable des les premiers mots. Une voix unique, totalement hallucinée qui, dans ce premier morceau monte légèrement sur les répétitions de 'Come Home!' Schultzberg est un batteur rapide, il donne de la vivacité a l'ensemble. Come Home, malgré ses qualités énergétiques, peut cependant lasser par sa durée a mon goût trop longue pour un titre qui devrait passer comme une bombe en trois minutes. Mais il est clair que lors des premières écoutes l'on ne pense pas que le morceau fait quand même plus de 5 mn. Un titre prometteur et speed, qui donne le ton et annonce un album de qualité. Les paroles sont déchirés, on perçoit un mal être certain qui laisse présager que Molko est capable de lyrics incroyables.

Teenage Angst, moins rapide que le titre précédent mais qui porte une troublante nostalgie se situe a plusieurs degrés de qualités au dessus de Come Home. Le mal être adolescent a rarement été aussi bien exprimé par le son. Des arrangements étranges, électriques et la voix de Molko qui survole le tout de manière fluide et agréable. Une faculté de suggérer par les paroles implicites et quelques phrases mémorables "since I was born I started to decay" font de Teenage Angst une ballade rock de qualité. Au fil des titres, Placebo s'affirme et monte en puissance. On sent une alchimie et une complexité dans la musique. Dès ce second titre, on comprend qu'il y a bien "un style Placebo". Ce sentiment ne fera que s'accentuer tout au long de l'album.

Le trio enchaîne ensuite avec Bionic, un titre qui semble être fait pour être joué live tellement il porte une puissance mélodique en lui. On peut reprocher a cette song la minceur de ses paroles " harder, faster, forever after" et "none of you can make the grade " répété mais ceci n'est-il peut être pas toute l'originalité et la qualité de cette chanson ? Elle semble porter un message politique teinté d'ironie mais rien ne fut expliqué à ce sujet. Placebo donne l'impression d'être un groupe révolté, a fleur de peau. Le son est tranchant, la batterie et la voix de Brian - unique en son genre - sont en parfaite osmose. Encore une chanson de 5 mn mais c'est tellement jouissif qu'on en redemande. Même si je ne parle pas de Stefan et de sa Fender, sans lui le groupe ne serait pas ce qu'il est. Un groupe partit pour durer.

S'ensuit une vrai bombe, un pur tube, l'un des sommets de l'album, 36 Degrees. On commence a comprendre que Brian a un évident talent d'écriture. Il construit ses chansons comme personne. La musique et les paroles s'harmonise pour former une chanson pleine de punch et qui possède une identité, celle de Placebo. Les textes éperdus, d'une rare tristesse contrastent avec la mélodie qui peut difficilement être plus entraînante. Brian se met a nus et il le fait bien. Il décrit l'après rupture d'une relation sentimentale, sa voix semble froide et nerveuse mais lorsqu'elle monte elle semble difficilement sortir des cordes vocales d'un être humain. La batterie est vive, la guitare saturée et la basse rapide, on se sent entraîné, on ne peut pas écouter 36 Degrees d'une oreille distraite. L'album est déjà totalement captivant et nous ne sommes qu'à la 4ème chanson.

Après la fougue, Placebo calme le jeu avec une ballade douce-amère aux textes plus que tordus et dérangeants "Je dois me défoncer avant de sortir"; "elle a des préservatifs et une fusée argentée". Les textes de Hang on to your IQ semblent raconter l'histoire d'un homme qui a des complexes car il a un sexe minuscule (?!!) Le message dit simplement de s'accepter tel que l'on est. Dès les premiers accords, on retrouve ce sens innée de la mélodie. Une batterie calme et les guitares qui s'expriment derrière la voix de Brian qui sait être douce et planante. Encore un excellent morceau.

Puis arrive enfin l'un des clous de cet album jusqu'à présent excellent sous tout rapport. Vous aurez bien sur reconnu Nancy Boy. Une chanson lente dans le tempo bien que les instruments hurlent férocement derrière la voix de Molko qui encore une fois se trouve être bluffante. A se demander d'où elle sort cette voix ! On retrouve la guitare tranchante au son particulier et la batterie qui juste avant le refrain nous balance un break bienvenu. Devinez le sujet de ce morceau ? Le sexe bien sur. Molko a rarement été aussi provoquant dans ses lyrics. Petit florilège (en français) de cette compilation de phrases ambiguës qu'est Nancy Boy : "j'ai perdu mes fringues, j'ai perdu mon lubrifiant"; "Un amant différent chaque soir"; "Cinquante £, appuie sur le bouton. On y va"; "Le meilleur coup que j'ai jamais tiré" etc... puis une autre que j'adore, je ne peut m'empêcher de la mettre en anglais "what a gas, what a beautiful ass". Vous l'aurez compris, Brian a des choses a dire et il ne se gène pas pour être lui même et exprimer ce qu'il ressent. Une personnalité forte et un talent certain. Placebo est tout ça... Et bien plus encore !

Nouveau temps mort pour une ballade désespérée et terriblement touchante. I Know, chanson qui commence comme une acoustique et qui se termine en sursaut intérieur. Comme si jamais elle n'arrivait a s'exprimer. Comme si tout ceci était tellement désespéré que le son ne pouvait pas exploser. Les percussions sont lentes, la batterie semble se révolter légèrement sur le refrain. La guitare monte en puissance mais elle non plus ne se transcende pas. Une chanson douce et éperdue toute en sensibilité et en non dit. Il faut entendre la voix de Brian sur "I know, the past will catch you up as you run faster". Tout simplement émouvant. Placebo sait faire bouger. Placebo sait émouvoir. Placebo sait tout faire.

Après la douceur, retour de la puissance. Bruise Pristine qui reste l'une de mes préférés de ce premier album est une song a la mélodie imparable. La voix de Brian n'a jamais été aussi bien exploitée depuis la début de ce LP. Il passe du grave "It's either you or me" a l'aigu "in this matrix" ou bien "serene" avec une déconcertante facilité. La voix de Brian est vraiment l'empreinte de Placebo. Une voix aérienne, planante, surnaturelle, mi-homme, mi-femme ou tout simplement androgyne. A vous de choisir. Bruise Pristine comporte tout ce qu'il faut de guitare saturée, la basse est puissante et la batterie toujours aussi speed. Les paroles sont une nouvelle fois très implicite. Et puis on peut signaler le "encore" répété en écho après le refrain et une nouvelle phrase simple mais parfaite, typique dans les lyrics de Brian, inclue à la fin du chorus, "we were born to lose". Car combien peut-on relever de phrases clés dans l'œuvre de Placebo. Quasiment toute les chansons possèdent des mots justes et simples car Placebo a un sens. Et ce sens s'affirmera au fil des albums.

Et le trio nous refait le coup, après une chanson speed, une slow. Lady of the Flowers, une song mélancolique et assez douce même si une nouvelle fois, les paroles ont un sens. Placebo est vraiment une œuvre basé sur le sexe, pratiquement toute les chansons sont remplies de codes, de caractères sexuels mais pourquoi s'en plaindre. Placebo aurait-il autant de charme s'il ne possédait pas cette ambiguïté, ce doute sur leur sexualité ? Brian serait-il aussi touchant, aussi charmant s'il était macho ou viril ? Le maquillage, le rouge a lèvres fait parti de Placebo et si l'on aime Placebo, et bien on aime leurs délires. Ce n'est que mon humble avis. Bon revenons en a Lady of the Flowers et a sa mélancolie. Première surprise, la voix de Brian pendant les couplets. Bidouillage technique ? On ne l'entend que très peu mais elle porte une tristesse accentuée par les guitares. Stefan joue aussi de la gratte. Particulièrement dans ce morceau. Lors du refrain la voix décolle légèrement mais ne s'envole pas. Elle se lance comme une touche d'espoir qui retombe vite et se refond dans le malheur. A noter aussi la guitare qui se fait bien sentir pendant le refrain mais on peut regretter une batterie effacée. Ou on peut apprécier sa non-présence. A vous de voir. Au final, cette "demoiselle aux fleurs" nous apparaît comme belle chanson dépressive. C'est déjà pas mal.

Swallow est sans doute le seul morceau d'un album de Placebo que je n'apprécie pas. Il ressemble a une b-side instrumentale. C'est un morceau assez étrange dans lequel je n'arrive pas à pénétrer. Une batterie, une gratte qui ne semble pas être digne de Placebo. Je n'arrive pas à saisir le sens de ce titre. Jamais si l'on m'avait fait écouter Swallow, j'aurais dit "c'est du Placebo". J'aurais même plutôt pensé à Radiohead (que j'adore également, c'est a signaler). Une percussion africaine renforce l'étrangeté de la song. Peut être la seule fausse note de Placebo dans un de leurs albums. Ou peut-être est-ce moi qui n'ait pas la sensibilité adéquate pour aimer Swallow. Quoi qu'il en soit, après une album de cette qualité on peut leur pardonner d'avoir ajouté ce 10eme titre, qui a mon goût n'était pas nécessaire.

Le hidden track de Placebo est une plage instrumentale qui elle se révèle être de toute beauté. Une ballade sans voix qui fait planer. Quelques touches de poésie dans la musique. Les 7 mn s'évaporent doucement en nous et laisse un sentiment de bonheur. Comme si après la dépression, la noirceur, la rage ou la tristesse, le soleil se levait a nouveau. Comme si la vie continuait. Brian avouera que le groupe a créé ce morceau en quasi-impro. Et bien merci pour ce talent, merci pour être capable de telle prouesses. Ce dernier titre qui peut sembler anodin respire la pureté et la beauté. Même la batterie est douce. Après un Swallow étrange et un peu décevant, Placebo clos son LP de fort belle manière. Comme si Brian et sa bande avait voulu prolonger le rêve avec ce HK Farewell tendre et plein d'optimisme. Et tout ça sans paroles. Chapeau Placebo !

Un album de jeunesse, l'album de la révélation, on appelle Placebo comme on veut, peu importe. Rarement un groupe ne nous aura fourni un premier disque aussi riche. Avec une identité aussi affirmée. Au final, un album en roue libre, Placebo laisse penser que le trio a tout pour jouer dans la cour des grands. Un LP difficile a étiqueter qui possède parfois une rage Punk, qui se dément lors des ballades. Molko brouille le piste pour notre plus grand bonheur. Tout ceci laisse penser que le groupe est loin d'avoir exploité toute ses capacités. La maîtrise des instruments, des lyrics et de la voix est bien présente mais tout laisse présager que Brian Molko emmènera son groupe vers des sommets encore plus élevés, Placebo a la capacité de devenir l'un des plus grand groupe du monde. Il nous confirmera tout ça dès son second album Without you I'm Nothing.