Accueil > Presse > Le Monde : 2 avril 2003

 

  Brian Molko, l'agent actif de Placebo
Le chanteur-guitariste à la voix mordante, qui sort un album avec son groupe, cultive une image teintée d'ambiguïté.

Pas une trousse ni une valise, mais une malle de maquillage qui s'étale sur une grande table. Une heure durant, les pinceaux d'un professionnel plongent dans une palette de fards et mascara pour parfaire la seconde peau de Brian Molko. Avant la séance photo, le chanteur-guitariste de Placebo prend avec son image des précautions de rockstar. Le résultat n'a pourtant rien des grimages qu'affectionnent certaines vedettes du heavy metal ou des masques élaborés dans les années 1970 par David Bowie, l'un des parrains en musique du trio formé par Molko, Stefan Olsdal (basse) et Steve Hewitt (batterie). Les cosmétiques ont juste accentué la féminité des traits, soulignant l'éclat bleu vif des yeux, la finesse des pommettes, la pulpe des lèvres.

Cette part de trouble est l'un des ingrédients indispensables à la musique de Placebo, de nouveau en piste avec Sleeping With Ghosts, son quatrième album. Dans l'usage des poudres et couleurs, on retrouve l'écho d'une tradition – celle du glam rock –, les anxieuses ambiguïtés de l'adolescence, la volonté d'une maîtrise au-delà des impulsions. "J'ai toujours passé du temps devant mon miroir, reconnaît ce frêle narcisse. Ado, j'étais plutôt rondouillard et couvert d'acné. C'est peut-être ça qui m'a forcé à sculpter une esthétique différente. C'était une histoire d'apparence, mais aussi une façon de montrer que j'étais plus à l'aise avec ma bisexualité."

Le chanteur a récemment emménagé dans un loft du quartier de Hackney, au nord de Londres. Au bout d'une pièce spacieuse, élégamment dessinée, une batterie électronique et une basse délimitent une aire de répétition domestique. Des disques d'or prennent la poussière dans un recoin. Un flipper trône près de la cuisine. Sur une table en verre, un magazine de design, Die Salon Jahre, et l'édition de luxe du Journal de Kurt Cobain. Seule décoration sur les murs dénudés, le tirage original d'une célèbre photo de Steve McCurry montre une Afghane dont l'intense regard vert semble vous suivre d'un bout à l'autre de l'appartement.

D'une ambiance à la fois zen et studieuse, ce nouvel espace a permis au chanteur de décompresser après un trop long séjour dans la bulle rock. Le succès du précédent album de Placebo, Black Market Music, et une tournée interminable avaient fini par déconnecter le groupe de la vraie vie.

Né en Belgique d'un père américain et d'une mère écossaise, ayant grandi au Luxembourg, Brian Molko était parti habiter Londres, en 1990, pour vivre au cœur de l'industrie musicale. Mais ce parfait bilingue a aussi pris ses habitudes à Paris depuis que le spleen tendu de Placebo bénéficie en France d'une grosse cote d'amour. Grand fan de Gainsbourg et de Brel, il a tissé un réseau d'amitiés où l'opportunité professionnelle a mis au jour de vraies affinités. "Les milieux de l'art, de la mode et de la musique se mêlent beaucoup plus à Paris qu'à Londres", estime cet ami d'agnès b., de Jean-Baptiste Mondino, d'Heddi Slimane et de Nicola Sirkis.

YANKEE DÉRACINÉ

Récemment, le chanteur a été tenté de se séparer de son passeport américain. "Quand j'ai vu les photos du transport et de l'incarcération des prisonniers talibans à Guantanamo, j'étais si écœuré que j'ai voulu renoncer à ma nationalité américaine. Mais, alors que nous manifestions à Londres contre la guerre en Irak, je me suis dit que d'autres manifestaient à New York et qu'il fallait absolument que d'autres voix s'expriment aux Etats-Unis. Sans mon passeport, je n'aurais plus cette voix."

Yankee déraciné, Brian Molko a vite rejeté l'environnement bourgeois de son enfance. A l'époque du premier album, les chansons de Placebo ressemblaient autant à des règlements de comptes familiaux qu'à des bombes jetées à l'ennui. "Très jeune, j'ai eu la sensation que quelque chose allait se passer qui me permettrait de quitter le Luxembourg, ce pays coincé et mercantile. Je me suis senti étranger, même au sein de ma propre famille. Mon père était un financier qui ne croyait qu'au fric. Il rêvait que ses fils suivent son exemple. Sans doute m'a-t-il donné son ambition en héritage. Ma mère est née dans une famille catholique très pauvre, elle n'a jamais pu assouvir sa passion pour la danse. C'est peut-être d'elle que je tiens cette sensibilité artistique."

Le jeune homme va s'épanouir dans ses désirs de transgression. "Ma mère m'a élevé à l'église des Born Again Christians. Je participais à des séminaires religieux où l'on reconnaissait déjà mes qualités de leader ! Tout a changé vers 13-14 ans, à la naissance de ma sexualité. Chaque dimanche, je m'apercevais que le prêtre critiquait des émotions qui s'affirmaient en moi. Je devais me rebeller."Attiré par la photo, le cinéma, la poésie, il tâtonne avant de se rendre à l'évidence. "J'ai commencé à l'université comme comédien, mais cela ne me laissait pas assez de contrôle. J'ai ensuite choisi de mettre en scène, mais je devais travailler avec les mots des autres. J'ai aussi tourné des petits films en super-8. Me manquait le contact direct avec le public. Un jour, j'ai eu une crise de lucidité, rien ne m'excitait plus que de faire partie d'un groupe de rock."

Marqué par la subversion pop de Bowie, les dissonances des Pixies et de Sonic Youth, Placebo a proclamé sa foi dans un genre musical qui semblait menacé par la génération électronique. Fasciné par les aspects sulfureux du rock, Brian Molko en a parfois épousé les modes de vie les plus excessifs. "J'ai tout essayé, mais j'ai eu beaucoup de problèmes avec l'héroïne et la coke. La lune de miel ne dure pas longtemps avec les drogues dures. Je ne veux rien "glamouriser" mais, soyons clairs, ceux qui condamnent l'usage des drogues peuvent brûler les trois quarts de leur discothèque. Les Beatles étaient tellement défoncés qu'ils ont même laissé chanter le batteur !"

Le trio et la voix mordante de son leader aimeraient pouvoir "dire quelque chose d'honnête, de profond sur la condition humaine", sans que le bagage de l'acteur affecte la sincérité du propos. "Je ne porte pas de masque, affirme Brian Molko. J'ai été formé aux méthodes de Stanislavski et de Lee Strasberg, qui recommandent de s'impliquer dans l'émotion pour la communiquer sur scène. J'applique cela au chaos du rock."

Stéphane Davet

Placebo en concert : le 26 avril au Printemps de Bourges, le 28 à Reims, le 29 au Havre, le 1er mai à Quimper, le 2 à Nantes, le 3 à Bordeaux.


BIOGRAPHIE

1973
Naissance en Belgique.

1994
Création de Placebo avec le bassiste suédois Stefan Olsdal et le batteur suisse Robert Schultzberg, remplacé en 1996 par l'Anglais Steve Hewitt.

1996
"Placebo", premier album du groupe.

2003
"Sleeping With Ghosts", quatrième album de Placebo.