Placebo |
A quelques semaines de la sortie du film "Velvet Goldmine" qu’il réhausse
de sa présence, Placebo s’ouvre le coeur en trois et prouve qu’il y a une
vie après Bowie.
Révélations...
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Situé
en plein coeur de Paris, l’hôtel Costes est un endroit particulièrement
accueillant. Pour qui souhaite dormir, s’entend. Gare à ceux qui
voudrait dissimuler quelque amourette dans l’un des salons pourtant idéalement
tapissés de toile de Jouy. Pas question d’y faire traîner un petit dej’
ou anticiper un apéro. Pire, on imagine la déconvenue du journaliste moyen débarqué
de sa gauche province à qui prendrait l’idée saugrenue d’interviewer là
le groupe Placebo, l’une des dernières sensations rock de l’hémisphère Nord
et récemment sacré objectif mondial par les hautes instances Virgin réunies en
commission internationale. Ce beau cauchemar, un gris matin de septembre, allait
devenir laide réalité. En un peu moins d’une heure et dans un tumulte méprisant,
les trois interviewés et le serviteur de ce journal ont été tenus d’émigrer
à plusieurs reprises sous des prétextes aussi divers que variés, clictés par
les lois d’une hospitalière hôtellerie. Pour avoir une chance de parvenir
intactes aux yeux des lecteurs les plus distants, les questions et réponses de
cet article on dû se frayer un difficile chemin entre les jappements
intempestifs des maîtres d’hôtel, survoler le tintement strident de tasses
d’opaline jetées de haut sur des tables rases, tromper l’infernal cliquetis
des couverts que l’on précipite de bon coeur sur de longs plateaux en inox.
Cela, en déplaçant plusieurs fois par ordre par ordre d’importance décroissant,
fessiers, cafés et blousons. Mais qu’importe, surtout lorsque c’est un
groupe justement spécialiste des chaises musicales qu’il est question de
faire parler. Agacé mais pas rosse, le trio de Molko (Brian, pour les amateurs
du précédent et premier album) va finalement parvenir à se raconter. Comme
Stefan Olsdal (basse, guitare, claviers et ami d’enfance) et Steve Hewitt
(batteur des premières démos retrouvé), le chanteur sait que Placebo
est attendu au tournant. Après un premier album encensé, une poignée de succès
honorables, une tournée sans fin et une sollicitation affriolante (de Michael
Stipe) pour participer à l’aventure "Velvet Goldmine", le groupe anglais
s’apprête à franchir le périlleux cap du deuxième album. C’est l’aube
d’un tout autre jour ces rockers sous influences à la rage agréée et à
l’ambivalence contrôlée.
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Fronts
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Brian Molko (il parle français couramment):
On
la fait en anglais hein, sinon les deux autres ne vont rien comprendre, OK ?
Pas de problème, cool. Une fois encore, avec ce
deuxième album, les comparaisons vont bon train. Dans les chroniques et
articles, on parle de Bowie, Iggy, T Rex dès les premières phrases. Comment
vivez-vous ce systématisme ?
D’abord il faut admettre qu’il pourrait y avoir pires
références. Placebo est un groupe glamour par excellence avec tout ce que cela
sous-entend de part d’héritage. Et nous n’avons jamais dissimulé nos
influences, citant délibérément ces noms dès nos premières interviews. En
ce qui concerne David Bowie, je n’ai jamais caché que j’étais fan indécrottable
de sa période "Hunky Dory" / "Ziggy Stardust", la plus riche à mon goût.
Vous étiez fasciné par son côté ambigu, décadent,
voire dégénéré ?
Oui et il nous a servi de trampoline. Nous sautions sur
ses découvertes successives, Stooges, Lou Reed, Mott The Hoople... Mais cet
amalgame avec David ne nous dérange pas, d’autant moins qu’on est amis
maintenant.
Le croisez-vous souvent ?
Pas assez, malheureusement... Ce mec est le charme
personnifié. Il y a peu je lui ai présenté mon frère et David lui a aussitôt
demandé ce qu’il pensait de sa nouvelle coupe de cheveux. Le frangin était
subjugué (rires).
Avant votre premier concert en France, en 1996, le
président de votre maison de disques avait amplement vanté vos mérites et mentionné ces références glam rock. Curieusement
c’est Cure qui apparaissait en filigrane, comme sur “Without You I’m
Nothing”, votre nouvel album.
Curieux que vous mentionnez cela car notre précédent
batteur était le fan ultime du groupe de Robert Smith mais, honnêtement, rien
n’est intentionnel.
Stefan
Olsdal: Il faut reconnaître qu’on a toujours aimé ce
groupe.
Les premiers singles ?
BM:
Oui et bien sûr la période pop, "Kiss", "Just Like
Heaven", qui reste un must.
SO:
On a toujours été fascinés par la pop polie et
impeccable.
BM: Blondie,
Abba, on les a tous aimés, tout autant que New
Order ou Joy Division.
Steve
Hewitt: Il ne faudrait pas oublier les Smiths
SO:
Ni Depeche Mode. Ils vont tourner, non ?
Absolument.
SO:
A jeun ?
On est en droit de
le penser.
SO:
On a descendu quelques verres avec eux à nos débuts,
lors d’une entrevue mémorable.
BM:
La fois où tu as joué "Rock’n’Roll Suicide" au
piano, assis sur les genoux de Martin Gore ?
SO:
Oui, et lorsque arrivait le final, à chaque "You’re
Not Alone", on se levait pour hurler en levant nos pintes: "Waow !"
Un truc de fous (rires).
Vous n’avez pas été sollicités pour “Music
For The Masses”, l’album-hommage ?
BM:
Non et on le déplore. On aurait adoré cela. Mais bon, on
ne peut pas être sur tous les fronts à la fois.
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Carré
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Que dire de l’évolution entre vos deux albums ?
BM: Steve y a énormément contribué, sur les plans
technique et moral. Pour la première fois dans l’histoire de ce groupe, le
mot amitié signifie quelque chose et cet homme y est pour beaucoup. Je
m’entendais si mal avec Robert que je gardais certaines idées et envies pour
moi que je n’ai eu qu’à libérer à l’arrivée de Steve. A trois nous
sommes enfin devenus un.
Tourner pendant près de trois années avec un répertoire
relativement limité ne vous a pas degoutés de vos chansons ?
BM:
Non mais, vu leur simplicité, on s’est pris à rêver
de tessitures sonores complexes, sans perdre notre énergie ni notre style pour
autant.
Robert jouait plutôt avec sa tête ?
BM:
Exactement, tandis que Steve laisse parler son corps, il
est passionné de musique black et ses grooves sont les plus sexy que je
connaisse.
Le processus d’écriture a-t-il beaucoup évolué
?
BM:
Énormément. Tout est plus libre, spontané, chacun
joue un peu de tout, sans aucune restriction.
SO: C’est une démocratie.
BM:
On essaye, en tout cas.
L’ensemble est plus intense, plus émotionnel...
BM:
C’est l’album des cœurs brisés mais,
paradoxalement, rien n’était prémédité hormis le désir initial de laisser
nos sentiments nous guider. On ne s’est pas dit : faisons un album rock ou
punk ou quoi que ce soit...
Pourquoi avoir choisi Steve Osborne
(Happy Mondays, U2 - NdA) à la production ?
SO:
C’était plutôt lui ou personne (rires)... Flood
nous a dit qu’il préférait attendre pour faire notre troisième, l’enfoiré...
BM:
Steve est apparu comme un bon choix parce qu’il a un
pied dans le rock et l’autre dans la dance, ce qui nous a semblé idéal. On
aime la techno et on voulait aussi éviter le piège d’un son typiquement américain.
En studio, on est un peu comme des gosses qui jouent dans leur chambre et que
l’idée de descendre dîner révulse.
Le rock que vous défendez vit-il ses dernières
heures ?
SO:
On dit ça tous les ans...
BM:
Le rock mourra quand les groupes à guitares arrêteront
de vouloir faire avancer les choses. Mais l’esprit rock, l’attitude,
personnifiée par des groupes comme Jesus & The Mary Chain, Spacemen 3 ou
Prodigy est encore là pour longtemps. Ce qui est néfaste c’est un certain état
d’esprit revival, défendu par des gens comme Kula Shaker, Paul Weller ou
Ocean Colour Scene. Le rock doit être violent, crade.
Le piège est qu’aujourd’hui beaucoup de
groupes salissent leur son par principe et oublient d’écrire de bonnes
chansons.
SO:
C’est très vrai. Il n’y a que notre ami Babybird qui
s’en tire haut la main avec ses arrangements lo-fi et ses chansons en béton.
BM:
En ce qui nous concerne, la production va jouer un rôle
de plus en plus important. On veut tout faire sauf du lo-fi. Mais ce que
j’aime chez les adeptes de ce son, à l’écoute de leur disque, c’est le
sentiment que tout risque de s’écrouler d’un moment à l’autre.
Ne craignez-vous pas que vos disques
soient de plus en plus difficiles à défendre sur scène ? Projetez-vous
d’utiliser d’autres musiciens ?
BM:
On aura peut-être un pianiste occasionnel, mais cela fait
deux ans que Stefan joue de la basse en déclenchant des samples avec ses pieds
et il va continuer.
Un véritable homme-orchestre ?
BM:
Absolument. Il est très important que nous conservions
cette relation triangulaire. On ne va pas devenir un carré, hein les gars (rires)
?
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Barre
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(Aux deux autres)
Brian est-il supportable ? Vous accrochez-vous souvent ?
SO:
Franchement, non.
SH:
Très rarement.
BM:
Au point que c’est même un mystère pour moi.
Vous êtes donc un vrai groupe ?
BM:
Sincèrement oui, le dialogue est permanent.
Que cache Placebo ? Quel est son projet secret ? Un
opéra-rock ?
SO:
Au secours, tout sauf ça.
BM:
On adorerait que certains de nos instrumentaux se
retrouvent dans des films...
SH:
Oui, ou dans des flippers (rires).
Comme
Blur pour Playstation?
SH:
Ca s’est
super, et bonjour le fric (rires).
Et ce titre
brasilo-cul en français, en face B du single, c’est une
plaisanterie ?
BM:
En quelque sorte. Un petit amuse-gueule entre « Girl From Ipanema » et « Je T’Aime Moi Non Plus »...
Vous n’avez pas songé à faire tout l’album
comme ça ?
BM
(rires): Pas
vraiment, non. Quoique, maintenant que tu nous le dis...
Alors que le sexe s’avérait
être au centre obsessionnel du premier
album, les textes du nouveau sont plus introvertis, prennent des allures de
confession...
BM (songeur):
Ils sont nus... vulnérables. Plus romantiques mais
aussi désespérés, un peu dans le même état que moi. Esseulé et le cœur
brisé depuis que notre carrière a pris cette importance. J’ai seulement un
peu brouillé les pistes en disant « You » pour parler de moi…
Ce déballage en public ne vous effraie pas ?
BM :
Un peu, oui, mais pour moi il est vital. On n’avait pas
prévu que l’album serait rempli de chansons d’amour, mais le résultat est
là, il faut l’accepter. « Without
You I’m Nothing » est de l’émotion en
barre.
L’amour comme éternelle source d’inspiration ?
BM :
L’absence d’amour plutôt.
Ce qui revient au même.
BM :
Oui, je le crains.
Recueilli par Jérome
Soligny.
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Chronique
de "Without You I'm Nothing"
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Les
journalistes eux-mêmes se trompent souvent. Coller de façon hasardeuse l'étiquette
fluo Pop / Reed / Bowie sur l'ardent trio emmené par Brian Molko relève plus
d'une méconnaissance de la chose rock que de la faute de frappe. Car bon ce
n'est plus un secret, c'est bien Marc Bolan, le charismatique chanteur de T-Rex,
retrouvé mort sur un arbre de périphérique, il y a 21 ans, qui fascine ces
jeunes anglais. Ce goût prononcé pour les chansons au nombre d'accords très
limité, cette effervescence guitaristique et triviale, ces roulements de toms
qu'on coule de reverb avant de les faire sursauter, cette basse surligneuse et
ces chœurs de filles en italiques chantés rien que par des garçons, c'est
bien le protégé de John Peel qui les a introduits dans l'histoire pop. En
revanche, la chose est certaine, le fait que le Duke suisse ait découvert les démos
du premier album de Placebo en même temps que Hut, leur label, a précipité
les choses. Et puis pour en terminer avec le jeu des assemblages, on conviendra
que "Without you I'm nothing", second essai des trois glamoureux, a du
Robert Smith et du Donovan dans l'aile. Molko, plus cultivé que ses sourires le
laissent penser, connaît son affaire. Il répand ça et là des lambeaux
d'arrangements arrachés à nos mémoires collectives, des arpèges minimalistes
qui griffent les souvenirs. Il feule plus qu'il ne chante véritablement, décalottant
les voyelles et faisant crisser les consonnes de ses mots tendus. Érotique, littéraire
mais conditionné, le rock écorché de Placebo est un larsen salutaire au bout
du tunnel, un crayon de soleil pour dessiner sur la pluie.
Jérôme
Soligny
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Critique
du clip "Pure Morning"
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On
se demande ce qui est le plus tétanisant dans la vidéo "Pure Morning"
: Brian Molko prêt à plonger d'un building ou l'ambiance, mélange de noirceur
à la "NYPD Blue" et de reality show pour américain très moyen. Aux
pieds du mignon glamoureux à souhait, la foule des rapaces guette la prévisible
chute tandis que les flics s'affairent avec l'efficacité de poulets décapités.
Ils ratent de peu, bien sûr l'ange qui se défenestre avec grâce et se met à
marcher le long de la façade de l'immeuble, figure christique gambadant à la
surface de l'eau. Que soit couvert d'opprobre parents et programmateurs qui
verraient là une banale incitation au suicide. Placebo cherche seulement ici à
troquer paillettes contre crédibilité. En illustrant au passage l'omnipotence
de la rock star, hybride de Superman, d'angelot au bout du rouleau et de
demi-dieu au pieds ailés.
Isabelle
Chelley
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