Vous avez de nombreuses références
en commun, ce qui signifie sûrement que vous jouez certains mouvements
culturels ou musicaux. Lesquels?
B.M. :
En Angleterre, c'est évident. Après Oasis qui copiait les Beatles et Kula
Shaker qui copiait George Harrison, il restait des plages musicales 60's ou 70's
qui n'avaient pas été copiées. Travis se sont mis à faire du Byrds, et les
Stereophonics, du Lynryrd Skynyrd. Le
rock, en Angleterre, est devenu une musique facile à avaler. Nous nous sentons
assez distants de ça. Plus proches de Radiohead ou PJ Harvey qui créent un
univers qui leur est propre. J'espère que mon impression correspond à la réalité.
En France, depuis quelques années, on peut
dire que le rock redécolle, non?
N.S. :
Il y a des jeunes groupes qui recommencent. Dans la mesure du possible, on
essaie de les faire jouer en première partie. Mais la France n'a pas une vraie
culture "pop". En Angleterre, quand Oasis est numéro un des charts,
c'est "Notre Dame de Paris" qui squatte la même place ici.
B.M. :
J'ai l'impression que la France a toujours été plus branchée par la Variété.
Je me souviens d'avoir vu s'enchaîner le clip de "L'Aventurier"
d'Indochine - que justement, je ne compare pas du tout à la variété - avec un
clip de Dalida ou de C. Jérôme. Ça fait une dichotomie un peu bizarre.
Je vois que tu es familier de la grande
famille de la variété française!
B.M. :
J'ai grandi au Luxembourg et j'ai beaucoup regardé la télé française. J'ai
été confronté de près à la culture Michel Drucker ou Jacques Martin.
N.S. :
Effectivement, tout cela était très mélangé. Quand on a accepté de jouer
chez Jacques Martin, c'est parce que nous voulions changer tout cela. Mais toute la presse rock nous est tombée
dessus à cause de ça : à cause d'avoir mis les pieds là où il ne fallait
pas. Je préférais nous voir un peu trop maquillés chez Drucker pour faire
peur aux grands-mères que d'y voir Dalida.
B.M. :
Je suis tout à fait d'accord avec toi.
N.S. :
Mais il y a deux publics en France. Et à part quelques radios, c'est sinistré.
B.M. :
Mais vous avez les quotas, ce qui ne vous aide pas.
N.S. :
Prends l'exemple de Radio 21 à Bruxelles, qui passe toutes sortes de rock.
C'est une chose que nous n'avons pas en France. Mais, du coup, ça génère
quelque chose de très positif, aussi : le public est vraiment fan.
B.M. :
Et underground.
N.S. :
C'est une nouvelle génération. Une génération que l'on ne peut plus leurrer.
La dernière escroquerie du rock'n roll, ça n'a pas été Malcolm McLaren, mais
les boys-bands. Je ne parle pas de musique, mais de business.
B.M. :
Malcolm McLaren voulait créer une contre-culture. J'ai fréquenté la même
Université que lui. Mais j'y suis surtout allé parce que c'était celle que
John Cale avait fréquentée. Les charts sont mondialement envahis par la pop
mais pas par ce que j'appelle la bonne pop, comme Blondie ou Abba. Là,
ce sont Britney Spears, Christina Aguilera ou les Backstreet Boys. Tout cela est
créé par les maisons de disques pour faire de l'argent. C'est difficile pour
des groupes qui ont des choses à dire, de passer à travers tout cela, car la
musique est créée par une grosse machine, sans âme.
N.S. :
C'est clair. J'ai longtemps habité en Belgique, d'où je captais les radios
anglaises. C'est là que s'est faite ma formation rock. Quand
je suis rentré en France, c'était Stone et Charden, alors que j'avais
l'impression que tous les autres pays d'Europe étaient à fond branchés sur le
rock. Il y a quatre ans, quand j'ai vu "Nancy Boy" de Placebo sur MTV,
je me suis dit : "Enfin!".
Un vrai déclic de fan...
N.S. :
Absolument, qui a eu lieu sur le côté un peu arty du clip de "Nancy
Boy". À l'époque, j'aimais le côté un peu "sales gosses" de
Oasis. Mais, avec Placebo, j'ai découvert quelque chose de nouveau. Tout comme
je continue d'être fasciné par Nine Inch Nails, Aphex Twin ou les Neubauten.
B.M. :
Alors qu'Oasis, en revanche, je ne suis pas du tout client... J'ai vu les
Neubauten en concert il y a un an et demi. Voir que ce groupe, après quinze ou
vingt ans d'existence, a encore progressé, et fait progresser la musique
industrielle, ça me fait halluciner.
N.S. :
Je t'avais dit, quand nous nous étions rencontrés au Zénith la première
fois, que nous allions travailler avec leur producteur. Comme je me retrouve un
peu seul aux commandes du groupe, je souhaite revenir à l'utilisation des synthétiseurs
grâce auxquels tu peux inventer tes propres sons.
B.M. :
Ce sont ces synthétiseurs que l'on utilise.
N.S. :
Le bon côté de la new wave. Le côté incisif et hypnotique des morceaux.
B.M. :
Celui de "Pure Morning".
Avez-vous l'impression d'être bloqués par la
technologie?
B.M. :
Jamais. Dans le contexte de la réalisation du dernier album, nous nous sommes
plusieurs fois dits que nous avions de la chance de ne pas être dans les 60's.
Ça facilite tout. Il s'agit, en revanche, de garder un feeling vraiment humain,
d'entre jouer trois personnes.
N.S. :
C'est ce que j'ai entendu de nouveau dans votre dernier single : l'utilisation
des séquenceurs.
B.M. :
Absolument. On avait expérimenté les loops de batterie sur "Pure Morning"
mais on n'avait jamais expérimenté les loops de guitare et de claviers. C'est
ce que l'on a fait. Steve a joué certaines de ses parties sur clavier. On sait
que l'on reste un groupe live.
Pensez-vous que la techno aspire aux mêmes
choses que le rock. Je veux parler du sentiment de fuite, de rébellion?
B.M. :
Il faut alors parler de Prodigy. Ce groupe est très important car ils ont marié
une attitude punk à la musique techno. Avec leurs synthétiseurs, ils ont quand
même réussi à être beaucoup plus punk que Offspring, par exemple.
N.S. :
Chaque année, on entend que le rock est mort. Mais si Placebo arrive à séduire,
c'est peut-être qu'en utilisant des gimmicks qui existaient déjà, ils
inventent quelque chose d'original. C'est nouveau. Le
seul problème de la techno est qu'elle est trop galvaudée. Quand on me parle
de french-touch et de Cassius, je n'entends que la disco des 70's. C'est rigolo
en boîte de nuit mais bon, voilà...
B.M. :
C'est vrai. En fait, en techno, j'aime les choses moins teintées
"happy-house". Nous parlions d'Aphex Twin tout à l'heure. Pour moi,
c'est un pur génie.
N.S. :
Il y a la phrase d'un philosophe français qui dit "Il fait beau, allons au
cimetière." Une façon de traduire l'élégance et la violence de la
musique. L'attirance du noir.
Le noir, c'est quelque chose qui vous
rapproche. Ce n'est pas un hasard si vous êtes tous les deux habillés en
noir...
N.S. :
C'est parce que c'est moins salissant (rires). Toi Brian, tu portes toujours des
tee-shirts que j'aime beaucoup.
Mais selon vous, d'où vient le regain d'intérêt
pour le romantisme d'un public qui vous porte aux nues?
N.S. :
Il y a toujours eu de l'intérêt. Le romantisme auquel je suis attaché, c'est
celui du 18ème siècle. Celui de Mallarmé. Celui des solitaires.
B.M. :
Jean Genêt, Baudrillard, Dennis Cooper qui est selon moi le Marquis de Sade des
90's. Ces écrivains-là me touchent beaucoup. En France, je n'ai jamais entendu
un album aussi pervers et aussi beau que "L'Histoire de Melody Nelson"
de Gainsbourg. Un disque qui peut
me faire pleurer : "Tu es la condition sine qua non de ma raison."
Fuck!
N.S. :
Gainsbourg, à l'instar de Dutronc, sont deux des meilleurs musiciens que la
France ait connu.
B.M. :
Si tu as habité la Belgique, tu dois connaître Brel.
N.S. :
J'étais à l'école avec sa fille. Mais je dois dire que je ne suis pas un
grand fan de Brel.
B.M. :
Vraiment!?! Absolument tout ce qu'a fait Brel me touche. Totalement.
Inévitablement, la conversation déviera sur
les nombreux centres d'intérêt communs aux deux musiciens : Scott Walker,
"Le Plat Pays" belge et Brel en général, John Lydon... Le constat de
l'interview est rassurant.
Avec Indochine et Placebo, le rock a gardé sa
fougue et son aspect racé et romantique, et prouve qu'il peut aussi être le
genre de protagonistes particulièrement érudits.
DISCO (INDOCHINE)
COLOMBIA/SONY MUSIC
DISCO (PLACEBO) HUT/DELABEL/VIRGIN
|